Pour situer et visualiser un peu tous les sommets observés pendant ces 2 jours, je ne saurais trop vous recommander cet excellent site: Toponymie au Pays du Mt Blanc.
- Ici pour la rive droite du glacier d'Argentière,
- Et là pour la rive gauche.
Et puis j'ajoute aussi un lien vers le blog de Guilhem Martin Saint Léon qui a fait de splendides photos de ce couloir en Y, en Avril 2011.
Ce jeudi 15/03, nous sommes les seuls, dans la cabine du téléphérique des Grands Montets, à porter piolets, baudriers et toute la quincaillerie du matériel de glacier. Hé oui, grâce à Jérôme qui s'est endormi hier en fin d'après midi, et s'est réveillé 5 minutes trop tard pour pouvoir aller récupérer ses skis au magasin de Chambéry où il les avait fait farter et affûter, en préparation pour ce périple en haute montagne, avec une pente de 45° à descendre, sur une neige qu'on espère bien dégelée et souple. Bref, donc Jérôme n'a pu reprendre ses skis que ce matin à l'ouverture à 9h, et nous sommes donc arrivés au parking d'Argentière avec 3h de retard sur l'horaire initialement prévu, c'est à dire vers 11h30. Ce n'est pas grave, Seb et moi avons pu faire une petite grasse matinée, et Jérôme a enfin pu se lever à une heure décente avant d'aller skier ! La balade que j'avais prévue jusqu'au fond du bassin d'Argentière, jusqu'au pied du Dolent, avant de monter au refuge, sera simplement remise à une date ultérieure.
Au sommet des pistes des Grands-Montets (3233 m), le sandwich dans la main gauche, les jumelles dans la main droite, nous discutons de la descente du lendemain, par le glacier du Milieu: "il est 13h15 et le goulet vient à peine de passer au soleil ... Je vois un groupe en train de descendre ... Il faudrait qu'on puisse les croiser en bas sur le glacier d'Argentière pour leur demander comment est la neige". En me relevant, je me cogne la tête dans le panneau qui indique 'Piste Noire', heureusement, j'ai déjà mis le casque ! C'est dangereux ces pistes de ski, on se croit en sécurité, alors qu'en fait pas du tout !
Crème solaire sur le nez, Arva branché, appareil photo en bandoulière, nous voilà partis ! Nous descendons le glacier des Rognons que nous commençons à bien connaître maintenant, puisque c'est la 3ème fois que nous passons par là.
Sur le glacier d'Argentière, Seb croise le 1er groupe qui descend du glacier du Milieu. pas de chance, ce sont des "rosebeef" qui passent sans s'arrêter ! Heureusement, ils sont suivis d'un 2ème groupe plus sympa qui nous confirme qu'il fait bien chaud (même au sommet à 3900 m), qu'il n'y a pas de vent et que la neige dégèle bien.
Nous collons les peaux de phoque sous les skis et remontons en direction du refuge, 250 m plus haut.
Nous passons presque au pied de la face Nord des Droites |
Le refuge est gardé seulement depuis une dizaine de jours et le gardien, tout seul, est un peu débordé entre la remise en état des installations, la gestion des clients, la préparation des repas ... des renforts sont donc dépêchés sur place. Ils arrivent en même temps que nous, héliportés par Pascal Brun en personne !
Il est 15h15, un peu tôt pour l'apéro. Et puis j'aimerais bien aller repérer le passage délicat du lendemain: un ressaut "mixte" en rocher et glace, qui défend l'entrée du couloir. Il faudrait être sûr qu'on pourra le franchir car ce serait un peu idiot de monter jusqu'au pied du couloir pour se trouver bloqués là. Nous poursuivons donc jusqu'au sommet de la moraine d'où on pourra l'observer aux jumelles. Si on juge l'obstacle infranchissable, demain matin nous partirons directement par l'itinéraire "normal" du glacier du Milieu.
Après discussions, ça nous paraît jouable. Seb est hésitant, il aimerait bien être certain que ça passera. Jérôme et moi sommes confiants, mais de là à être sûrs ... ? En montant nous avons croisé deux alpinistes qui nous ont dit qu'ils étaient passés il y a 15 jours, et qu'il y a un relais en place en rive droite. C'est un renseignement précieux, qui nous permettra de poser un système d'assurage sans devoir trop chercher ou bricoler un ancrage nous même. La décision est prise: on y va !
Je fais encore quelques photos:
Il y avait beaucoup plus de neige à cette époque. La faute au vent qui a soufflé très fort cette année, et qui a balayé la neige qui était pourtant tombée en abondance cet hiver ! |
De retour au refuge, nous assistons à une nouvelle rotation d'hélicoptère:
Au refuge, après avoir mis à sécher les chaussures, chaussettes et peaux de phoques, nous nous installons dans la grande salle à manger, dont les immenses fenêtres font face aux parois Nord des Droites et de l'Aiguille Verte. Pour patienter jusqu'à l'heure du repas, Jérôme nous offre de nous réhydrater par différents moyens: bière, puis chocolat chaud au rhum pour Seb, et vin chaud pour moi. A l'avenir je lui conseillerai plus souvent de faire farter ses skis en magasin !
S'ensuit un vrai repas de montagnard, et fort bon: 2 assiettes de soupe aux légumes, et 3 assiettes de chili servi avec du riz très collant. Seb et Jérôme ont calé à la 2ème assiette, sûrement à cause du chocolat chaud avalé peu de temps avant !
Le lendemain matin, réveil à 4h30, pour un départ vers 5h40. Le regel nocturne a été fort, la neige est dure, nous utilisons les couteaux dès le départ.
Enfin, vers 7h20, nous arrivons au pied du couloir en Y:
La rimaye franchie, Seb et moi prenons la même photo:
Puis je range l'appareil photo, et m'attaque aux choses sérieuses ! Jérôme, vâché (désolé pour les termes techniques, ça veut dire qu'il est attaché !) sur un piolet profondément enfoncé dans la neige dure, m'assure avec la corde. Un piolet dans chaque main, crampons aux pieds et skis sur le sac bien sûr, j'escalade assez facilement les 3 marches d'escalier recouvertes de 15 cm de glace. Arrivé sur la petite pente de neige entre les deux ressauts, je lève les yeux vers la gauche et aperçois tout de suite l'anneau de cordelette passée dans un piton, qui semble assez vieux, mais solide, bien enfoncé dans le rocher. J'y passe une sangle et m'y attache. Un mousqueton, un 1/2 cabestan, et je fais monter Jérôme, qui à son tour fait venir Seb pendant que j'avale le second ressaut en contournant le passage en glace par les rochers faciles de la rive gauche. Après une courte pause, je retraverse pour revenir en rive droite me vacher sur le relais suivant (une grosse sangle bleue avec un maillon rapide + un anneau de corde rose un peu usé). Je répète la manoeuvre pour faire monter Jérôme (qui choisit de passer par les rochers + difficiles de la rive droite en se hissant sur la corde, peut-être pour éviter la traversée juste au dessus de la glace et un éventuel pendule en cas de glissade), puis Seb qui passe comme moi en rive gauche, rejoint les grosses et belles traces (de vraies baignoires) dans l'axe du couloir, se détache et attaque tout de suite la longue remontée du couloir, pendant que je plie et range la corde et que Jérôme ré-installe ses bâtons sur son sac. Seb est déjà bien plus haut que nous lorsque nous partons à sa poursuite:
Remonter ce couloir va nous prendre environ 2h (un peu moins pour Seb) inoubliables. Le décor est grandiose avec ces tours de granite aux couleurs chaudes juste au-dessus de nos têtes, la vue plongeante sur le glacier tout en bas, et le bassin d'Argentière au loin, qui semble perdre de l'altitude à mesure que nous en gagnons. Petit à petit, les Grandes Jorasses apparaissent derrière l'arête des Rochassiers, et le Mt Blanc aussi derrière les Droites.
Le casque blanc de Jérôme en contrebas |
Au "carrefour" du Y nous continuons tout droit, dans la branche de droite car celle de gauche est tout aussi raide et chauffe au soleil depuis un bon moment déjà. La sortie se rapproche doucement, la pente est raide mais la trace excellente nous facilite énormément les choses, on monte presque sans fatigue ! J'aperçois les quelques rochers qui barrent la sortie du couloir, et la tête de Seb qui dépasse juste au-dessus et qui me dit avec son accent du sud-ouest "c'est bon, l'arête est facile". Je crie à Jérôme derrière moi "ça y est, on y est, c'est les derniers mètres !".
Un peu de gymnastique pour se hisser sur le dernier rocher, et ça y est, je sors sur l'arête, à un petit col entre l'Aiguille d'Argentière à gauche et Flèche Rousse à droite.
Depuis l'arête le panorama est époustouflant:
De gauche à droite: Tour Noir (3835 m), Dolent (3823 m), Triolet (3870 m), puis les Courtes, les Droites et la Verte, en arrière plan les Grandes Jorasses |
Quelques vues depuis le sommet:
Les 3 grandes faces Nord: Courtes, Droites, Verte. |
De l'autre côté, le Cervin ! |
Au sommet, on déguste nos sandwichs, puis, en attendant que le soleil fasse son oeuvre sur la neige gelée du versant Ouest, nous piquons un petit roupillon réparateur, confortablement adossés à un rocher.
14h30, c'est l'heure ! La neige est dégelée en surface, mais le fond dur (et même très dur) est encore bien présent. Dommage, les grandes courbes dans le 45° ce sera pour une autre fois. Peut-être aurait-il fallu attendre une heure de plus ?
Ensuite, quelques pentes douces pour retomber sur le glacier d'Argentière que l'on traverse pour rejoindre l'ombre rafraichissante de sa rive gauche que l'on suit jusqu'au pied du col des Grands Montets à la moraine des Rognons (2560 m). Là, on retrouve le hors piste classique et fréquenté puis la piste hyper fréquentée vers 2000 m, à un point tel que c'en est réellement stressant. Et arrivée au parking à 16h50, pour conclure une vraie belle grande journée en haute montagne.
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