vendredi 29 juin 2012

Balade sur l'arête des Dômes de Miage

Content ! Heureux !
Encore une belle course en haute montagne bien réussie, avec les amis Seb et Jean Louis. Ce n'était pourtant pas gagné d'avance: Seb avait mal aux dents, Jean Louis ne pouvait plus utiliser son bras droit suite à une mauvaise chute sur l'épaule lors d'un entraînement au trail ! Quant à moi, j'avais très vite trouvé les limites de mon endurance lors de notre précédente sortie au Tondu: la remontée au col d'Enclave avait été une longue agonie, et j'avais du piocher dans les réserves avant de sombrer dans une sieste réparatrice. Je nourrissais donc quelques inquiétudes quant à ma capacité à suivre les deux trailers fous tout au long des 2600 m de l'ascension (sur 2 jours) des Dômes de Miage, et de la longue descente d'une seule traite depuis le sommet à 3660 m jusqu'au parking de Notre Dame de la Gorge.
 Heureusement, nous avons su réunir tous les éléments qui conditionnent la réussite: pour ma part, j'ai enfin trouvé les chaussettes miracles, à la fois douces avec des bouclettes moelleuses, et pas trop épaisses pour ne pas comprimer les orteils, et j'ai encore considérablement allégé mon sac en choisissant délibérément une configuration short + collant (qui a déclenché quelques quolibets de la part de mes équipiers mais tellement efficace sur le terrain !) en lieu et place du traditionnel pantalon d'alpinisme trop lourd et surtout trop chaud, et en oubliant (très involontairement) gants et coupe-vent ! J'ai aussi trouvé LE petit encas qui permet de repartir du bon pied: de la pâte d'amande au cacao, en barre de 250g ! Jean Louis aussi est parti en "mode light": pas de baudrier et pas de frontale ! Mais c'est surtout sa longue expérience des efforts de très longue durée, sa capacité à gérer la souffrance, et sa vista qui lui ont permis de se jouer de la neige, du vent et de l'altitude, et de faire d'une course en haute montagne avec un seul bras une véritable promenade de santé ! Quant à Seb, il a su utiliser sa volonté de fer et sa fierté d'homme du sud pour transformer sa rage de dents en une rage de vaincre irrésistible qui l'a magistralement propulsé au sommet.
 Surtout, et plus sérieusement, nous sommes partis avant que la chaleur ne tombe sur la montagne: à 9h, nous étions sur la voie romaine, en face de la chapelle de Notre Dame de la Gorge.


 Nous sommes donc montés dans une relative fraîcheur, le long du torrent, dans un décor des plus champêtres.


Les parfums d'un futur beaufort, ou reblochon ?
 Nous avons franchi sans encombres le "Mauvais Pas", escaladé le passage raide de "Tré la Grande", Seb et Jean Louis par les rochers de la rive droite, et moi beaucoup plus classiquement par le glacier. Enfin, les lacets du sentier de la moraine nous ont permis d'arriver au refuge des Conscrits à 15h15, pour Seb et Jean Louis, 15h30 pour moi, car j'ai pris la liberté de m'arrêter un instant pour photographier les charmantes linaires des Alpes et autres pédiculaires qui égayaient le bord du chemin !

Linaria Alpina (linaires des Alpes)
Aussi appelées Muflier, ou bien Gueule-de-lion des Alpes
Pedicualris Gyroflexa = pédiculaires arquées (ou de Kerner ?)
 Une fois les sandwichs dégustés sur un rocher, nous avons pris le temps d'aller vérifier le confort des matelas du refuge, ce qui fut sans aucun doute la véritable clé de la réussite ! La petite sieste réparatrice permet de bien compenser l'heure de départ très matinale du lendemain, de bien reposer les jambes et de détendre les muscles avant même le repas du soir. Le dîner lui aussi est très important pour "refaire le plein": en refuge il est toujours copieux: soupe de légumes accompagnée de tomme (pour se réhydrater), crozets (pour les sucres lents, 3 assiettes c'est absolument VITAL) et viande blanche pour éviter les toxines + un petit dessert.
 Nous passons la soirée en terrasse, face au Tondu, à écouter un guide parler à ses clients de base jump, depuis sa tendre enfance où il sautait dans un tas de foin depuis le toit de la grange, armé d'un parasol, jusqu'aux derniers sauts qui ont eu lieu très récemment au Brévent, de la folie pure !

Lumière du soir sur Tré la Tête
et sur le Tondu, depuis la terrasse du refuge

 Le jour J: réveil à 3h15 ! Petit déjeuner les yeux mis clos. Puis descente dans le hall d'entrée pour s'équiper. On découvre avec stupeur que Jean-Louis n'a ni baudrier ni frontale ! Depuis que je suis expatrié dans le 74, il y a parfois du flottement dans la préparation matérielle des courses en montagne !! Mais ce n'est pas bien grave: je bricole un simili-baudrier avec une sangle, ce n'est pas très confortable, en cas de chute dans une crevasse ça peut entraver un peu la circulation sanguine dans les jambes, mais d'une manière générale, lorsque j'ai le moindre doute sur la solidité d'un pont de neige, soit on cherche un autre passage, soit on fait demi-tour, donc pas d'inquiétude. Et puis en marchant entre Seb et moi, Jean-Louis pourra se passer de lumière: Seb éclairera à l'avant, et de l'arrière, je dirigerai le faisceau de mon "phare" dans ses pieds ! On marchera ainsi, bien groupés, jusqu'au glacier où il est prévu qu'on arrive avec les premières lueurs du jour. On pourra donc s'encorder (et s'espacer) et ranger les frontales dans le sac !
 4h15: top départ. Nous ne sommes pas seuls à marcher en direction du col Infranchissable. Seb et Jean Louis sont maintenant bien réveillés, ils impriment un rythme assez soutenu et nous rattrapons rapidement les groupes partis quelques minutes avant nous. Un peu avant de prendre pied sur le glacier, nous chaussons les crampons et nous nous encordons. La température est plutôt douce, le regel inexistant, mais la neige de névé porte assez bien, nous n'enfonçons pas trop.

6h10; l'aube sur le Goûter
 A 6h55 nous débouchons sur l'arête au col des Dômes. Le vent devient mordant.

6h50 au col des Dômes
Il souffle un petit bisolet !
Jean Louis suivi de près par une cordée de 3. A l'arrière plan: Bionnassay, Goûter, Mt Blanc
 
Encore quelques pas et nous sommes au 1er sommet pour découvrir la vue sur la fameuse arête des Dômes, celle qu'on peut admirer dans de nombreuses vitrines de St Gervais.

7h07: la mythique arête des Dômes de Miage sort de la pénombre

Derrière nous: de Tête Carrée à Tête Blanche
 Soudain, le soleil passe au-dessus du Mt Blanc et vient réchauffer la pente S-E des Dômes. Nous sommes pile à l'heure au rendez-vous, on a tous les trois les mêmes yeux écarquillés que les gamins devant les cadeaux sous le sapin de Noël.



7h08: le tout premier rayon de soleil. Et personne encore sur l'arête !

Mais on se fait rapidement doubler !
 Nous nous détachons. L'arête est en neige, il n'y a pas de glace, chacun de nous possède l'aisance et l'assurance nécessaire pour avaler cette arête sans tomber. A cette heure, dans la lumière du petit matin, ce chemin suspendu entre terre et ciel est véritablement envoûtant. Pendant un vingtaine de minutes nous marchons ainsi, fouettés par le vent, baignés dans la lumière rasante du soleil, au sommet d'une pente fuyante d'une blancheur éclatante qui contraste avec le vert des alpages 1500 m plus bas.
Vue plongeante depuis le sommet, sur l'aiguille de la Bérangère, 250 m plus bas
Le Mt Blanc, derrière nous
 Nous ne nous attardons pas au sommet. Il est 7h30, il fait encore frisquet, et la descente s'annonce longue. On s'encorde  à nouveau pour descendre la partie supérieure du glacier d'Armancette. Sur ce versant Ouest la neige est pourrie: une croûte cassante recouvre une épaisse couche de "soupe" assez humide. Heureusement la pente est déjà bien tracée: une cordée de 3 nous précède et nous croisons d'autres cordées qui effectuent la traversée dans l'autre sens, pour aller probablement au refuge Durier et tenter ensuite le Mt Blanc le lendemain. Nous arrivons rapidement au col, puis au sommet de la Bérangère.

Le col de la Bérangère
 

Un coup d'oeil en arrière
Seb et Jean Louis escaladent les derniers mètres en rocher, sous le sommet de l'Aiguille de la Bérangère
 

Une partie de la descente du Dôme Sud de Miage au col de la Bérangère
 Je range définitivement la corde dans le sac. Maintenant, il n'y a plus de glacier (ou presque), plus de crevasses, plus d'arêtes, juste 2500 m à descendre !
 Du sommet au refuge, les névés en pente douce nous permettent de perdre de l'altitude rapidement et sans effort. Nous courons presque, la neige juste ramollie amortit les chocs, et nous autorise parfois de belles glissades (dont une sur le ventre pour Seb qui s'est fait piéger par la sous-couche dure dans une portion plus raide). A 10h00 nous sommes de retour au refuge des Conscrits. Il est trop tôt pour le casse-croûte. D'un commun accord, on décide de filer jusqu'au refuge de Tré la Tête pour se restaurer. La moraine est descendue au galop dans un grand nuage de poussière. On atterrit sur le glacier, en glace vive. On rechausse les crampons, jusqu'aux petits névés qui résistent encore. Hier nous avions franchi une petite crevasse, d'un bond agile. Aujourd'hui cette crevasse s'est élargie, et surtout, tout un pan de neige s'est affaissé et laisse entrevoir un trou TRES profond, au fond duquel on entend couler les eaux de fonte du glacier. Pas d'hésitation, il est hors de question de s'aventurer sur ce névé visiblement fragile, il faut trouver un itinéraire bis ! Je contourne la crevasse par la gauche, en marchant sur la glace recouverte de quelques cailloux. Le sentier du Mauvais Pas est remonté ventre à terre et à 12h15 nous sommes au refuge de Tré la Tête. Et là, c'est la déception: nous arrivons trop tard, il n'y a déjà plus de crumble pomme-banane ! Tant pis, nous nous contenterons de la "Salade Tré la Tête" très complète et copieuse !
Nous repartons aux alentours de 13h20 pour dévaler les 760 derniers mètres de descente en 1h15 !



A noter que le cheminement sur la moraine puis sur le glacier devenant dangereux, un nouveau sentier est en cours d'aménagement: vidéo sur TV Mountain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire